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Retour sur l’édition 2019 du festival SXSW à Austin

Créé en 1986 comme festival de musique, le festival SouthBySouthWest (SXSW) a évolué pour devenir un événement majeur et de portée internationale pour l’industrie musicale, cinématographique et numérique. Reposant sur une approche “démocratique” (certains événements sont payants mais l’événement est organisé au cœur de la ville et sans espace clos), il est clairement tourné vers la création, la prospective et les défis et technologies du futur (“about inspiration and envisioning what comes next across societies and nations”). SXSW vise un public de décideurs et d’influenceurs jeunes et aisés (“young, gainfully employed and influential”) auquel il offre une multitude de panels, de conférences et d’événements de réseautage.

 

La 33ème édition du festival SXSW s’est déroulée du 8 au 17 mars 2019, attirant, pour le programme payant, près de 100 000 personnes de 100 nationalités différentes travaillant dans les secteurs de la culture, des médias, de la publicité et du numérique. Au total, ce sont près de 500 000 personnes qui ont participé à ce festival dont l’impact médiatique est considérable avec plus de 4000 journalistes qui se rendent à l’événement, y compris français.

La programmation de SXSW peut donner le tournis avec plus de 2300 sessions organisées autour de plus de 5000 intervenants et sur 25 thématiques. C’est toutefois ce qui fait la réussite et la singularité de SXSW : il permet des échanges entre secteurs et cultures et favorise un brassage permanent et intense de personnes, d’idées, de projets… « a meeting of the minds » qui, cette année, a aussi veillé à inclure plus largement toutes les composantes de la société. SXSW sait aussi attirer des personnalités de haut niveau qui interviennent à SXSW non seulement pour porter leur message mais aussi pour se confronter à un public particulièrement réactif. Le format des conférences, qu’elles soient keynote, featured speaker ou mentor, permet des échanges directs. Cette année, les têtes d’affiche mêlaient les fondateurs d’Instagram, Priscilla Chan, Howard Schultz (PDG de Starbucks), Ethan Hawke ou Bozoma St John (Endeavor). Le festival a aussi accueilli des élus et candidats démocrates aux élections primaires américaines qui ont fait salle comble : Alexandria Ocasio-Cortez, Elizabeth Warren, Pete Buttitieg…

Si la profusion de conférences, événements, projets, personnalités, institutions et marques présentes rend impossible une restitution exhaustive de l’événement, voici quelques retours autour des productions numériques et audiovisuelles à SXSW 2019 et de la présence française, notable, dans ces domaines.

 

Les sujets de 2019 : intelligence artificielle, éthique dans la tech et réalité augmentée par le son

Les sujets des conférences ont délaissé cette année la réalité virtuelle au profit d’autres technologies : principalement l’intelligence artificielle et la réalité augmentée via le son.

L’utilisation de l’intelligence artificielle dans la création était au cœur de plusieurs conférences et présentations de projets, tels que The Smartphone Orchestra, Algorithmic Perfumery (tous deux présentés à SXSW par le festival néerlandais IDFA/Doclab), ou encore Frankenstein A.I. de Lance Weiler. La caractéristique commune de ces œuvres : ce sont des expériences qui reposent sur l’interaction en temps réel d’un algorithme ou d’une intelligence artificielle avec le public (tout comme Mechanical Souls sur lequel cet article reviendra).

La question de la responsabilité éthique dans l’utilisation de l’intelligence artificielle était l’un des axes forts de cette édition, rejoignant un thème omniprésent à SXSW cette année : les enjeux éthiques dans le secteur des nouvelles technologies et les grandes entreprises de la Silicon Valley. À titre d’exemple, Susan Fowler, ancienne employée d’Uber livrait ses réflexions sur les comportements de discrimination et de harcèlement dont elle a été victime et témoin, la régulation des GAFA était fréquemment mentionnée dans les panels sur la tech. Citons enfin la conférence donnée par le président de l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes), Sébastien Soriano, intitulée A Robin Hood Regulation to Free Us From Big Tech (un enregistrement audio de la conférence est disponible ici).

Plus que la réalité virtuelle, c’est la réalité augmentée dont il fut surtout question dans les conférences, et plus spécifiquement la réalité augmentée grâce au son. Le constructeur américain de lunettes de réalité augmentée Magic Leap (avec lequel collaborent officiellement les trois sociétés française MinsAR, Atlas V et immersiv.io) étaient présents à SXSW et co-présentaient notamment une œuvre réalisée avec les britanniques d’Imaginarium et de la Royal Shakespeare Company.

Mais ce sont les expériences de réalité augmentée par le son qui ont davantage attiré l’attention : c’était le point d’orgue de l’intervention de Jessica Brillhart, la « keynote speaker » de cette année pour la section interactive. Après avoir été réalisatrice de films en réalité virtuelle pour Google, elle a fondé en 2018 sa propre société de production baptisée Vrai et présentait pour la première fois leur nouveau projet : une plateforme nommée Traverse qui propose des expériences de son spatialisé, disponible sous la forme d’une application pour smartphones. L’expérience qui inaugure la série est From Elvis in Memphis qui exploite les multiples pistes d’enregistrements des chansons Suspicious Minds and Power of My Love. Le public peut, en se déplaçant avec son casque audio et son téléphone, évoluer dans les sons du morceau en se rapprochant d’un instrument ou d’un autre ou du King lui-même pour mieux écouter chaque élément. Traverse a remporté un prix spécial du jury dans la catégorie Virtual Cinema (Special Jury Recognition: The Future of Experience).

 

Ce type d’expérience est rendue possible grâce au développement de casques audio permettant de spatialiser le son, permettant à l’utilisateur d’écouter un son, une musique, une voix, qui varient ou sont activés selon sa position ou ses mouvements. Les festivaliers pouvaient tester de nombreuses applications de cette technologie dans la “maison” investie par le fabricant Bose, sur Rainey Street à quelques pas du Convention Center.

 

Faire converger nouvelles technologies et expérience physique de l’art

Plusieurs expositions et conférences attestaient d’un vœu formulé tant par les professionnels des nouvelles technologies que par les créateurs et les musées : (ré)intégrer l’expérience physique dans les créations qui s’appuient sur les technologies numériques ; et à la réciproque, se servir de ces expertises comme d’un outil pleinement intégré à un parcours dans un espace réel (ex. un musée) et une base de données tangible (ex. la collection d’un musée).

Le projet Phonofolium du tandem lyonnais Scenocosme a médusé les visiteurs de l’exposition UNESCO Media Arts initiée par la ville d’Austin, labellisée creative city dans la catégorie media arts par l’UNESCO, tout comme les villes de Lyon et Enghien-les-Bains en France. Gregory Lasserre et Anais met den Ancxt ont créé une plante qui réagit au toucher et produit des sons lorsque le public caresse ses feuilles ; cette apparente magie est rendue possible grâce à une technologie invisible du public qui s’appuie sur les flux énergétiques.

 

Dans le même esprit, New Inc. (incubateur du musée new-yorkais New Museum) et Nokia Bells Lab présentaient Blooming de l’américano-coréenne Lisa Park. Cette installation audiovisuelle et interactive réagit au contact physique des deux ou trois personnes qui expérimentent l’œuvre : faisant face à l’image interactive d’un cerisier, les spectateurs se positionnent pieds nus sur des capteurs biométriques et lorsqu’ils se touchent (en se tenant la main par exemple), l’arbre fleurit.

Plusieurs conférences traitaient de l’exploitation des outils numériques pour dynamiser l’expérience muséale : Art museums as spaces of digital play faisait notamment intervenir Sarah Brin de Meow Wolf, un collectif et espace d’exposition originaire de Santa Fe dont les installations immersives spectaculaires se déploieront bientôt à Las Vegas, Denver et en Asie. Mummies to Manet: Immersive Experiments in Museums présentait le travail de quatre professionnelles ayant travaillé entre autres avec le SF MOMA, The Art Institute of Chicago, le Detroit Institute of Arts autour d’études de cas d’utilisation des outils numériques dans les musées et espaces publics (disponibles ici)

Forte présence française dans la catégorie “Virtual Cinema”

La réalité virtuelle ne suscite plus l’engouement de la nouveauté, et cette industrie encore jeune cherche encore le modèle économique qui lui permettra de perdurer. À ces interrogations tente de répondre René Pinnel, basé à Los Angeles et fondateur de Kaleidoscope, en proposant un nouveau modèle de financement des projets de réalité virtuelle dans une conférence dont la vidéo est disponible ici.

Pour autant, l’exposition Virtual Cinema démontrait la vitalité créative de ce secteur, en proposant pendant trois jours plus de 25 projets. Cet espace ne désemplissait pas et accueillait chaque jour des centaines de professionnels internationaux parmi lesquels des constructeurs (ex. HTC, Facebook/Oculus), des programmateurs américains, des officiels (ex. délégation taïwanaise autour de la vice-ministre de la culture), professionnels du jeu vidéo (ex. Ubisoft), créateurs, producteurs et distributeurs issus de l’industrie numérique comme du cinéma traditionnel.

La France était très présente cette année avec quatre œuvres françaises de réalité virtuelle. Trois d’entre elles étaient soutenues par French Immersion, un programme de la fondation FACE initié par les services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis en partenariat avec Unifrance, le CNC, l’Institut Français avec le soutien, la fondation Florence Gould et Air France. Les quatre projets illustraient la diversité des productions françaises dans ce secteur : une œuvre en animation, un jeu “location-based”, le première épisode d’une série scénarisée à l’aide d’une intelligence artificielle, un voyage sensoriel et contemplatif en prise de vue réelle.

La société française Backlight présentait Eclipse, une expérience de jeu en réalité virtuelle pour 4 personnes qui plonge les joueurs dans une mission dans l’espace pendant une trentaine de minutes.

 

Le projet -22.7°C transporte le public dans l’Arctique aux côtés du musicien français Molécule. Cette œuvre hybride co-produite par Zorba productions, Novelab et ARTE mêle expérimentation sonore et musicale, prises de vue réelle et techniques immersives de pointe.

 

Produit par Digital Rise (France) et Serendipity Films (Taïwan), en association avec DVgroup, et créé par L.P.Lee et Gaëlle Mourre, Mechanical Souls est une fiction tournée en prise de vue réelle dans un monde où cohabitent humains et androïdes. Le déroulement de l’histoire est en partie régi par une intelligence artificielle qui interprète le comportement de chaque spectateur et modifie le scenario en fonction de lui.

 

Narré par Colin Farrell, Gloomy Eyes est une œuvre d’animation en réalité virtuelle qui plonge le spectateur dans un univers sombre et magnétique pour y suivre Gloomy, un enfant mi-humain, mi-zombie qui vit à l’écart dans la forêt. Réalisé par Jorge Tereso et Fernando Maldonado, Et produit par Atlas V, 3dar, et ARTE, Gloomy Eyes a reçu le prix Storytelling de la catégorie Virtual Cinéma.

 

Plusieurs jeux français dans la section SXSW Gaming

Le jeu vidéo est traité en fin de festival et l’influence de SXSW dans ce secteur est encore modeste, mais Austin représente pour les professionnels du jeu une étape intéressante avant de se rendre à San Francisco pour la Game Developers Conference.

Outre les œuvres de réalité virtuelle, le programme French Immersion a soutenu le jeu vidéo Vectronom, sélectionné pour le SXSW Gamer’s voice award, coproduit par ARTE France, Ludopium et La Compagnie des Martingales, et initié grâce à la Spielfabrique (programme d’accélération d’entreprises franco-allemand). Dans Vectronom, les joueurs doivent observer les évolutions de l’environnement au gré de la musique pour déplacer un cube en rythme, et résoudre les énigmes auxquelles ils seront confrontés.

 

Le jeu Dead Cells, développé et édité par le studio indépendant bordelais Motion Twin, était nominé dans les catégories Most Promising New Intellectual Property et Excellence in Gameplay. Enfin, le jeu Detroit: Become Human a remporté le prix Excellence in Narrative qui récompensait le jeu avec la meilleure histoire et les meilleurs dialogues. Le jeu est le dernier-né du studio français Quantic Dream créé par David Cage.

Du côté des conférences, Célia Hodent intervenait le 15 mars au Convention Center sur l’expérience utilisateur dans le jeu vidéo. Ancienne d’Ubisoft et de LucasArts, professeure en psychologie formée à l’université Paris V et désormais consultante indépendante, Célia Hodent a été durant quatre ans directrice de l’expérience utilisateur au sein d’Epic Games, la société américaine derrière Fortnite, jeu à succès planétaire. Elle a créé le Game UX Summit, conseille la Game Developers Conférence (GDC) à San Francisco pour le volet UX Summit, et a publié aux États-Unis The Gamer’s Brain: How Neuroscience and UX can Impact Video Game Design.

 

Emilie Bessard, TV, New Media & VR Program Officer, New-York

Alexis Andres, Consul Général, Houston


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